JERUSALEM





« Autrefois les hommes de la guerre vivaient de gloire et de pillages, leurs campagnes étaient pour eux le véritable champ d’exubérance de leur vie. Ô bon vieux temps ! Or j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de brisé à l’ossature de l’humanité. »

G. Bataille, Lettre du 14 mars 1918




Le 14 décembre 1917, Georges Bataille commence d’écrire un poème en vers libres sur Jérusalem, décrivant « les images qu’évoque chez tout chrétien la campagne Palestine » et dont le sujet est, dit-il dans la lettre du 15 décembre 1917 à son ami Jean-Gabriel, « vague et simple », et « s’inspire de la déception que peut causer cette nouvelle croisade en regret des temps héroïques ».


C’est là très certainement les seuls éléments dont on dispose sur cette œuvre de jeunesse, qui, n’en doutons pas, devait être d’une qualité assez médiocre à en juger le propos de Michel Surya, dans sa biographie de Bataille, La Mort à l’œuvre, parlant d’un poème échappé aux flammes auxquelles Bataille avait voué presque tous ses textes d’avant son entrée à la BNF.

Mais ces quelques informations, même en l’absence de l’œuvre, permettent de dire deux trois choses malgré tout.


L’évocation des images


Il présente le procédé utilisé : « décrire les images qu’évoque chez tout chrétien la campagne Palestine », et ce dans un style qui semble avoir été clair (même si sa clarté n’était que relative). Grand mystère sur ce que pouvaient bien être ces images, surtout quand on sait que Bataille sans doute n’a jamais été tout à fait orthodoxe dans sa foi, surtout en des temps aussi troublés.

La « campagne Palestine »


Sans doute faut-il voir derrière cette expression quelque peu ambiguë la campagne en Palestine de la première croisade, qui aboutit à la prise de Jérusalem et à la création d’états latins au Moyen-Orient, rouvrant la possibilité de faire des pèlerinages à la ville sainte et remettant, cette ville emblème en la possession du monde chrétien. Cette conquête guerrière et héroïque, qui n’a pu être possible que par l’union des pays d’Europe en un même but, donnait un sens aux victoires militaires : un but élevé, spirituel, somptuaire.

Tout le contraire de la première guerre mondiale qui touche Bataille au plus profond, et qui est une guerre insensée, basse, vile, désarmante, qui a plongé Bataille dans des ruminations noires et dans une situation pour le moins difficile à supporter : abandon et mort du père, folie de la mère, frère et amis au front, année de mobilisation calamiteuse, rejeté loin des lignes de combat, abandonné à ses méditations religieuses sur la guerre, qui occupent l’essentiel de son temps. Ces quatre années auront été pour lui comme pour tous les autres chargée, et lourdes de conséquences. Cette guerre, sorte de nouvelle croisade, ne peut que laisser un goût amer, et faire regretter les temps « héroïques » de la chevalerie et du Moyen-âge qu’il étudiait alors.

Il va sans dire que sa passion pour la chevalerie détermine autant que le contexte historique et son christianisme le thème de ce poème.



Sources :

Michel Surya : Georges Bataille, choix de lettres.

La Mort à l’œuvre.